mercredi 10 avril 2013

Plus tard, je veux faire député

Fut un temps - lointain aujourd'hui - où je voulus successivement être maîtresse d'école, infirmière puis hôtesse de l'air.

 

Prisonnière de vieux schémas sexistes aujourd'hui en passe, heureusement, d'être dépassés (un grand merci à Najat Belkacem de se charger d'expliquer, en petite robe Courrèges, à nos auxiliaires de puériculture, qu'il est préférable de retirer aux petites filles leurs poupées Corolle pour leur mettre des méchants GI Joe entre les mains), je ne disposais pas alors du recul nécessaire pour me choisir une profession conforme à mes intérêts et à mes goûts. 

 

Et comme, finalement, c'est vrai, on ne grandit jamais très vite - voire même on reste un peu enfant toute sa vie - il m'a fallu pas mal de temps pour comprendre pour quel métier j'étais faite vraiment.

 

Je vous avais annoncé que je devais me rendre, un des 25 derniers mercredis (je ne sais plus exactement lequel, ça fait trop longtemps que je ne suis pas revenue sur ce blog), à l'Assemblée Nationale.

 

Eh bien je ne me suis pas dégonflée, j'y suis allée.

 

Et tout ça malgré la pluie, le portique de sécurité, les photocopies de ma carte d'identité, le vestiaire où l'on m'a obligée à laisser toutes mes affaires, téléphone portable compris (ils m'ont repérée au moment où j'essayais de le glisser discrètement dans l'une de mes chaussettes).

 

Bon, vous serez peut-être un peu déçus d'apprendre que je ne me suis pas illustrée en tentant de descendre du balcon où j'étais placée pour rejoindre l'hémicycle, ou en lançant une bombe à eau sur tel ou tel député ou membre du Gouvernement, et que les chances sont minces, du coup, pour que je passe très prochainement au zapping...

 

A défaut de gagner en notoriété, j'ai par contre vécu une formidable révélation intérieure, dont je commence tout juste, maintenant que le choc est passé, à pouvoir parler.

 

Je sais désormais quelle est la suite à donner à ce que j'oserais appeler très pédantesquement (mais après tout mon grand âge me le permet) "ma carrière".

 

Cela s'est imposé en 6 lettres comme une évidence : D.E.P.U.T.E.

 

6 lettres qui vous donnent un passeport pour un pied-à-terre au Palais Bourbon et une petite retraite sympa une fois que vous l'avez quitté une jeunesse éternelle (du moins le temps de votre mandat).

 

La jeunesse qu'est-ce que c'est ?

 

Eh bien, si l'on dépasse un tout petit peu le stade des petits pots et des hochets, c'est sans doute cette faculté d'exprimer pleinement la vitalité bouillonnante dont on est (encore) animé.

 

Il y a la première jeunesse où la vitalité est bien trop bouillonnante pour qu'il soit possible de la contenir d'une quelconque façon (la jeunesse où vous courez dans la forêt tout en ramassant des tas de marrons pour les mettre dans un sac en plastique).

 

Et puis il y a la seconde jeunesse où le volcan est déjà un peu endormi mais reste encore capable de quelques belles petites éruptions de temps à autres (la jeunesse de l'esprit cette fois, parce que, si je prends mon cas, ça fait bien longtemps que je ne cours plus en forêt en ramassant des marrons dans un sac en plastique) (d'ailleurs il n'y a plus de sac en plastique).

 

Notez que les manifestations de cette seconde jeunesse sont alors plus ou moins liées à la qualité du public fourni par les circonstances.

 

Que vous ayez 7, 14, 28, 56 ou 112 ans, un bon déjeuner de famille bien pénible constitue un formidable étouffoir à jeunesse.

 

A l'inverse, une assistance désireuse autant que vous d'en découdre avec la pesanteur de son environnement représente un écho parfait à la voix de la jeunesse.

 

Les plus belles illustrations qu'il m'ait été donné d'en avoir ont incontestablement eu pour cadre les bancs d'école où, bizarrement, un grand nombre d'élèves était en général plutôt partant pour mettre à l'épreuve la patience du corps enseignant.

 

Je me souviens du jour où Théophaste avait décidé de faire bzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzz-la-mouche pendant toute la durée d'un cours d'histoire (Ouvrez bien les fenêtres les enfants, que la mouche puisse sortir).

 

De celui où Marc-Aurèle étala consciencieusement de la craie sur le siège du professeur de chimie avant son arrivée (Allons jeunes gens, concentrez-vous un peu sur ce que j'écris au tableau).

 

De celui où Jessie, plutôt que de répondre à la question de cours que lui posait le professeur de mathématiques, lui demanda pourquoi c'était toujours les filles en jupe qu'il interrogeait (Non, je ne vois pas, vraiment...).

 

A l'université, dans une spécialité assez féminine et réputée plutôt sérieuse (que n'ai-je étudié le trampoline), j'ai été un peu frustrée de l'absence totale d'atmosphère potache qui régnait dans mon amphithéâtre.

 

Je caricature à peine en disant que le plus grand acte de sédition de mes camarades et moi-même consistait, en cours, à remplir notre grille de mots croisés 20 minutes.

 

Mieux valait que je ne compare pas trop avec le régime que connaissait ma soeur, pendant ce temps là, dans son école d'ingénieur – formation impromptue de chenilles géantes en amphi, trophée ricard-flambi en caddie, concours de "ventre et glisse" sur sol savonneux, etc - si je ne voulais pas voir grandir trop dangereusement mon sentiment de frustration.

 

Heureusement, à l'issue de ces biens mornes études, j'ai eu la chance de réussir un examen qui m'a conduite tout droit dans une école bidon, où, avec mes camarades de promotion, nous tentions de compenser la faiblesse des cours par des activités récréatives et ludiques.

 

Petits bacs improvisés à 15 au dernier rang, "Qui est qui" spécial personnes de la promotion (Est-ce qu'il a un gros nez ? Est-ce qu'il dégage encore des effluves de bière au lendemain d'une soirée ? Est-ce qu'il dort en ce moment au premier rang ?), applaudissements insistants à chaque arrivée d'une personne en retard, concours de mots improbables à caser dans des questions à l'intervenant (concupiscence, radiesthésie et j'en passe), ola spontanée derrière le dos de la directrice quand elle avait le bon goût de passer nous voir, etc...

 

Ce fût une période socialement très épanouissante (intellectuellement beaucoup moins mais je ne sais pas si ça m'a vraiment dérangée).

 

Et puis je suis rentrée dans le monde du travail et là, j'ai compris qu'il me faudrait vite reléguer tous ces passe-temps que j'aimais et dont je n'avais pas encore eu totalement mon compte au rang des souvenirs sympathiques mais hélas défunts.

 

Jusqu'à ce que les contingences de l'existence m'amènent, l'un de ces 25 derniers mercredis, dans l'hémicycle du Palais Bourbon.

 

Là, qu'y ai-je vu ?

 

Des gens.

 

Et plus exactement :

 

- des gens qui adressaient à d'autres gens des questions avec une mauvaise foi consternante, soit pour leur signifier leur plus entière réprobation à travers moult attaques gratuites, soit au contraire pour les couvrir de fleurs et d'éloges au prix d'une cécité quasi complète sur tous les grands sujets d'actualité de ces 15 dernières années,

 

- des gens qui huaient, soupiraient, se levaient, conspuaient, poussaient des cris d'orfraie,

 

- des gens qui applaudissaient, tapaient des pieds, poussaient des clameurs d'enthousiasme, approuvaient bruyamment,

 

- des gens qui s'échangeaient des mots pendant toute la durée de la séance : et vas-y que j'appelle le monsieur de l'Assemblée Nationale pour qu'il transmette mon enveloppe à mon ami le député Machin (Tu as vu si Truc est arrivé ?), à mon camarade le député Bidule (Tu as potassé le projet de loi de demain ? Parce que moi pas, je suis complètement à l'arrache), au doyen le député Duchmol (Au fait, tu le renvoies quand ton formulaire de retraite des députés ? En même temps que tu publies ta fausse déclaration d'impôts ou pas ?),

 

- des gens qui discutaient avec leurs voisins d'hémicycle au lieu d'écouter, qui ricanaient avec eux, qui debriefaient de la soirée de la veille au Baron (ou à la Chandelle pour les plus sportifs d'entre eux), qui ne décollaient pas de leur Iphone, qui admiraient la tactilité de leur Ipad (outil sur-représenté au Palais Bourbon, qu'on se le dise).

 

Bref, des gens qui, même si comme ça, avec tous leurs cheveux grands, paraissaient avoir 75 ans, ne montraient pas plus de signes de sérieux que s'ils en avaient eu 17.

 

Je ne sais pas si c'est très rassurant pour un pays de se dire que ce sont des personnes comme ça qui décident si les emballages en carton doivent être glissés dans les poubelles vertes ou dans les poubelles jaunes, mais une chose est sûre, je ne crois pas qu'il me faudrait beaucoup de temps pour arriver à trouver ma place au milieu d'elles. 

 

Moi aussi, j'aime bien rire, chahuter, m'indigner... vibrer en somme ! 

 

C'est peut-être même ce que je fais de mieux. 

 

Sachant que si cela peut faciliter mon intégration au sein de l'hémycicle, je suis même prête à apporter mon vuvuzela pour égayer un peu l'assistance. 

 

Et ça tombe bien, je ne l'ai pas sorti depuis la coupe du monde de football 2010 (waka waka). 

8 commentaires:

  1. Certains de ceux que tu décris avaient probablement ton idéalisme et ta lucidité avant de devenir députés. Alors, te concernant, est-ce un objectif très raisonnable ?

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  2. Génial, je soutiens ta candidature si tu t'engages à effectuer un ventriglisse en pleine séance (et non pas un ventre et glisse, j'ai un frère qui a fait une école d'ingénieur alors le ventriglisse ça me connait)

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  3. Et bah dis donc ! Si c'est aussi délire que sur le blog de Ginger l'Assemblée, je vais me mettre à regarder LCP...

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  4. Me voilà rassurée : moi qui croyais que les députés ne faisaient rien... erreur! Ils font les fous.

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  5. Moi je suis douée pour jouer au morpion, au p'tit bac, au carré magique et pour faire des dessins sur un coin de papier. Tu crois que je peux me présenter ?

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  6. Je compatis avec tes profs, chère Ginger...

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  7. Va y faire un tour, ça ne peut pas leur faire de mal !

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