jeudi 27 mars 2014

Dans le doute, abstiens-toi

Je ne sais pas si j'en ai déjà parlé sur ce blog mais, durant les premières années de ma vie, j'ai eu la chance de fréquenter un grand maître yogi.
 
Il était déjà très âgé et passablement ridé, mais ses yeux verts portaient encore intact en eux tout le feu de la jeunesse.
 
Il tenait la caisse de l'épicerie située non loin de l'appartement où je squattais alors (chez mes parents), et je me souviens très bien que chaque fois que je venais y acheter du pain, il me rendait la monnaie (j'ai toujours eu une excellente mémoire). 
 
Nous n'échangions pas une seule parole et, pourtant, dès que je passais le seuil de la boutique, il y avait comme un courant magnétique qui rendait nos deux âmes parfaitement claire l'une à l'autre. 
 
Les clients ne voyaient rien, mais nous, nous savions
 
Et puis un jour, au lieu de se contenter de me rendre la monnaie comme à son habitude, de son regard éloquent, il m'a dit dans un souffle : 
 
« Ecoute petite, je n'aurai pas le temps de t'apprendre grand chose, mais dans la vie, quand tu as un doute, abstiens-toi ». 
 
Le lendemain, lorsque je suis revenue dans l'épicerie, il n'était plus là.
 
Personne ne savait ce qu'il était devenu. 
 
Il y avait juste le vieux Sam qui prétendait, dans son délire d'ivrogne, l'avoir vu embarquer dans un OVNI. 
 
On ne saura évidemment jamais la vérité... 
 
Toujours est-il que, depuis ce jour-là, je me suis efforcée de mettre en pratique sa sage recommandation : dans le doute, abstiens-toi. 
 
Et j'ai pu me rendre compte de tous les bienfaits qu'une telle maxime m'a apportés. 
 
J'hésitais entre des malabars et des arlequins, je me suis abstenue. J'ai sauvé mes dents. 
 
J'hésitais entre de la vodka et de la liqueur de prune, je me suis abstenue. J'ai sauvé mon foi.
 
J'hésitais entre le lancer de poids et le curling, je me suis abstenue. J'ai sauvé ma dignité. 
 
Et je pourrais citer encore mille autres exemples... 
 
Toujours est-il que, malheureusement pour elles, toutes les personnes n'ont pas eu la chance de croiser un jour l'épicerie d'un vieux maître yogi décidé à faire d'elles le dépositaire d'un tel principe de vie.
 
Pas plus tard qu'hier matin, en me connectant à facebook, je l'ai encore vérifié. 


Dix personnes qui participent à ce post, dix personnes qui ont perdu une belle occasion de pratiquer le « dans le doute, abstiens-toi ». 
 
Décryptage. 
 
1) L*** T***
 
Indiquer « Célibataire . » sur son statut facebook, c'est clamer haut et fort que la passion dévorante que l'on vivait jusqu'à présent s'est très curieusement évaporée et que, du coup, pourquoi pas, on est disponible pour en vivre une autre, de préférence sans trop tarder, avec au choix : 

- un de ses contacts facebook,
 
- un contact de ses contacts facebook,
 
- ou - si on est assez bête ouvert pour avoir laissé son profil public - n'importe qui inscrit sur facebook (soit près du quart de la population mondiale). 
 
Dans le doute, mieux vaut s'abstenir. 
 
2) les  « 6 personnes (qui) aiment ça »
 
Approuver bruyamment la rupture de L*** T***, c'est non seulement perdre un gros gros paquet de son temps de vie, mais c'est encore et surtout faire étalage de tout son peu de finesse sur le web entier. Voire, le cas échéant, se signaler sans complexe comme un gros rapace aux abois.
 
Dans le doute, mieux vaut s'abstenir. 
 
3) J**** **** + la personne qui like le « Ba alors ? » de J**** **** 
 
Commenter les statuts des autres sur Facebook en glissant un « Ba alors ? » mal orthographié (oui, désolée, ça a beau être une interjection, ça a une orthographe), dans l'espoir de récupérer quelques miettes du scandale à partager avec les copines pour la prochaine soirée pyjama-cupcakes, c'est juste l'anti-classe absolue.
 
Ca vaut aussi pour la personne qui like sans avoir l'air d'y toucher.
 
Dans le doute, mieux vaut s'abstenir. 
 
4) le come back de L*** T***
 
Surenchérir sur son histoire minable en émettant une platitude du style « C'est la vie » et en l'accompagnant d'un signe dont la traduction pourrait être « et vu qu'elle est plutôt pas mal, ça me dérange pas tant que ça les cocos », c'est faire l'aveu d'une vacuité personnelle proche du manteau inférieur de la croûte terrestre. 
 
Dans le doute, mieux vaut s'abstenir (encore). 
 
5) les personnes qui likent le « C'est la vie » de L*** T***
 
Poser au philosophe de PMU en appuyant une platitude du style « C'est la vie », c'est montrer que l'on a tout à la fois la profondeur et l'intelligence d'une huître (en dehors des mois en « r »). 
 
Dans le doute, mieux vaut s'abstenir. 
 
6) C**** *****
 
Ne rien trouver de mieux à écrire qu'une grande vérité dont personne n'est dupe – même pas L*** T*** – du genre « 1 de perdu et 10 de retrouvés », avec le petit smiley qui va bien, c'est reconnaître publiquement que l'on a une faculté d'improvisation et d'adaptation de poisson rouge grippé et asthmatique. 
 
Dans le doute, mieux vaut s'abstenir. 
 
Mais vraiment. 

11 commentaires:

  1. Elle est drôlement sage, la maxime de ton maître à penser. Du coup, à midi, comme j'hésitais entre les féculents et les légumes, je me suis rabattue sur le dessert !

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  2. hou là, FB est de ce côté-là un vrai terrain d'étude. Il y a aussi ceux qui racontent leur dernière dispute conjugale, la gastro de leur n°2, ou se plaignant d'un comm' vraiment pas sympa laissé sous un de leur billet, ou encore qui s'étalent sur leur fâcherie avec leur frère qui remonte à 2 ans...dans le doute, on ferait mieux de s'abstenir d'être sur FB (mais moi j'ai un compte, et je serais vraiment heureuse de te compter parmi mes amis....;-)

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  3. Quelle chance, un Maître Yogi ! Sage maxime mais je n'ai jamais de doute pr la chose la plus importante, c'est chocolat ou ... chocolat

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  4. C'est ta consigne de vote pour le deuxième tour ? Je ne savais pas que tu te lançais dans la politique, mais à tout prendre ça relève un peu le niveau de ton blog (lol comme on dirait sur facebook)

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  5. La pertinence de ton raisonnement dont le cheminement est étayé par ta propre expérience apparaît comme proprement édifiante et m’a ouvert les yeux sur un domaine aux intrications infinies ! La phénoménologie peut ainsi s’appliquer au paradigme facebookien et comme le soulignait en son temps si justement Merleau-Ponty* nous pressentons que « Le psychisme d’autrui devient un objet immédiat comme ensemble imprégné dans une signification immanente. » (;) "" (;) (='o'=) (,,)(,,) Rhôoo, qu’il est beau le minou ! Sois sage Momo* arrête de t’étaler sur mon ordinateur ! *Maurice Merleau-Ponty

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  6. Pour autant je ne m'abstiendrai pas de laisser un commentaire sur ce très bon article ! Facebook est effectivement une magnifique machine basée sur le "ne t'abstiens pas dans le doute"...

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  7. Sans aucun doute, je ne m'abstiens pas de te féliciter pour cette leçon de sagesse. Dans le doute, entre yoga et badminton, j'ai choisi badminton. Dommage.

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  8. Peut-t-on commenter après ce message. Peut-être faut-il mieux s'abstenir. Bon, allez, je like le message !

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  9. Je pense avoir saisi le message essentiel de ce billet et je plussoie : l'orthographe des interjections est trop souvent malmenée !

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  10. Très bon article, je suis contente de l'avoir lu ! Ton décryptage est très juste je trouve, et bien écrit. Bonne soirée!

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